[Intoduction] [Une brève histoire] [Genèse de la théorie] [Le rêve selon Freud] [Le début d’un mouvement]

[Le rêve selon Jung] [Jung dénature la psychanalyse] [Réconciliation et conclusion] [Bibliographie et liens]

 

 

(C) 2000
- Martin April -

 

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

Qu’il soit flou ou net, unique ou répétitif, réaliste ou fantastique, agréable ou apeurant, le rêve est un phénomène auquel nous ne portons habituellement pas attention si bien que, la plupart du temps, nous n’en gardons qu’un vague souvenir au réveil, souvenir qui s’estompe rapidement lorsque notre attention se tourne vers le monde diurne. Pourtant, il y a des rêves dont nous nous rappelons ou qui nous réveillent en pleine nuit, tinté de sueur et d’angoisse. Mais quelle est donc cette activité qui est hors de notre contrôle et qui nous fait parfois vivre de telles émotions ? Certains diront que le rêve n’est qu’un défilement d’images aléatoires, refusant d’y porter attention, prétextant de que c’est un sujet insignifiant ou anodin, le rêve n’ayant aucun but ou à tout le moins aucune signification. Cette attitude expose probablement le refus d’accorder de l’importance à ce qui se passe à l’intérieur de soi ; peut-être parce que notre conception de l’homme nous en désintéresse, peut-être parce que nous ne considérons que l’extériorité comme source de connaissance. Nous serions alors, peut-être, porter à vouloir comprendre le rêve grâce à l’expérimentation scientifique de la neurophysiologie et l’étude électro-encéphalographique du sommeil paradoxal mais ces études ne peuvent rien dire sur les images et les sensations que le rêveur perçoit et des rapports qu’elles entretiennent avec la personne du rêveur. C’est donc le " récit du rêve " et son sens qui nous intéresse ici et qui a donné lieu à de multiples explications à travers l’histoire de l’humanité.

Le rêve a quelque chose de mystérieux et c’est certainement pourquoi toutes les civilisations ont chercher à le comprendre et ont laissez dans leurs écrits des récits de rêves. La description du contexte dans lequel se produit un rêve et le récit du rêve lui-même ainsi que les raisons pour lesquels le rêve est écrit permettent de retracer la signification qu’il avait dans une civilisation donnée. Outre ces récits, certaines civilisations ont aussi élaborer de véritable théorie sur le rêve en cherchant à l’expliquer et à chercher son sens. Par exemple, quelques siècles avant J.-C., les prêtres et devins Égyptiens et Mésopotamiens avaient écrit des livres leur permettant d’interpréter les rêves. Bien sûr, nous ne passerons pas en revue toutes les civilisations et toutes les conceptions du rêve qui y ont été développées, nous nous contenterons de grands traits, parfois un peu généraux mais commodes, pour en arriver aux deux conceptions du rêve qui nous intéresse particulièrement : celles de Freud et de Jung.

 


 

 

 

 

Une brève histoire des représentations sociales du rêve

Dans l’Antiquité, la conception du rêve est en lien avec les croyances religieuses. Le rêve est perçu comme un message qui annonce l’avenir et il est envoyé par Dieu ou par un dieu. Cette préfiguration de l’avenir n’est pas révélée directement par le rêve mais doit être interprétée par une personne qualifiée, à qui ont confère un grand prestige. Cette conception se retrouve par exemple dans la bible (dans la Genèse : Ge, IV, 37) où un certain Joseph interprète le rêve du Pharaon. Il s’agit d’une prédiction de sept ans de vaches grasses suivit de sept années de vaches maigres. Cette prophétie se réalisa…

En ce qui concerne la société grecque, Artémidore d’Ephèse, au IIe siècle après J.-C, interprète les images du rêve en terme de prédiction de la vie quotidienne (rencontre, maladie, gain/perte, amour, travail), un peu comme l’astrologie d’aujourd’hui. Platon et particulièrement Aristote pour qui le rêve est une pure illusion, par leur rationalisme, ne seraient pas représentatifs de la pensée grecque de cette époque, celle-ci encore fortement influencée par les mythes de la Grèce archaïque.

Au Moyen-Âge, le rêve est perçu comme un monde tout aussi réel que la vie éveillée. Ce serait le monde où les dieux et les morts vivent. Le rêve serait la visite d’un personnage divin, personnage qui a une vie propre, en dehors du rêve du dormeur. Dans sa visite, il avertit ou dit ce qui doit être fait et cela spécialement aux personnages qui ont un certain pouvoir social comme les rois.

C’est dans la poésie orphique du VIe siècle que naît la conception du rêve comme un voyage de l’âme. C’est au même moment que le caractère surnaturel et prophétique du rêve est mis en doute. Aristote le premier mais d’autres aussi, élaborent les premières explications non-religieuses du rêve. Le rêve devient un voyage intérieur où l’on se retire dans son propre monde, ce n’est plus un envoi de dieux. Des théories sont élaborer comme celle qui postule que les petits malaises non sentis à l’état de veille se perçoivent à travers les rêves nocturnes. La réalisation d’un rêve n’est vue que comme une simple coïncidence, la corrélation entre le rêve (prémonitoire) et sa concrétisation est saisie que comme le fruit du hasard puisque rarissime. L’attitude scientifique ne peut prétendre à l’explication par des forces surnaturelles. La visite des dieux et l’excursion de l’âme sont donc des explications mises à l’écart.

À partir du XVIIe siècle, le rationalisme qui se répand en Europe et la recherche de l’origine des connaissances ne fait que peu de place au rêve. Descarte, qui pense l’homme mécaniquement, disait que les rêves dépendent de la force que peuvent avoir les esprits qui sortent de la glande H (pinéale) et en partie des impressions qui se rencontre dans la mémoire. Locke voit peu de rapport entre la perfection de l’homme raisonnable et le rêve qui est extravagant et aux idées mal liées. Le rêve est perçu comme un dérèglement de la raison, un emballement de l’imaginaire. Le rêve n’a rien à nous apprendre puisque l’entendement est la seule source de connaissance. Notons tout de même qu’une autre vision se présente en réaction à la prétention du siècle des lumière, celle de la toute puissance de la raison pour se gouverner. Cette tendance est celle de l’introspection et de la force des sentiments.

À l’époque du romantisme, on prétend vaine toute tentative d’expliquer le rêve puisqu’il est perçu comme une poésie à admirer. Certains, bien évidemment, étudient quand même le rêve. G. H. Schubert s’y intéresse en cherchant les rapports entre le langage du rêve et celui de la poésie, y voyant des figures de styles comparables (métaphores, métonymies). Schubert pense que le rêve serait le discours d’un " poète caché "qui nous dirait notre destin dont le langage imagé serait universel. Il est sous-entendu que le rêve est le moment où l’homme renoue avec l’univers de la création. En fait, la période du Romantisme fut prolifique en production de théories concernant le rêve mais ce n’est qu’après, dans la monté du positivisme, que fut étudier plus scientifiquement le rêve.

Au milieu du XIXe siècle, Scherner stipule que l’activité psychique s’exprime en un langage symbolique à travers le rêve et que ces symboles sont déterminés par une stimulation mentale ou corporelle. Un des symboles fondamental du rêve est par exemple la maison et elle représente le corps du dormeur. Il étudie aussi les relations entre le rêve et les maladies organiques qui se produisent pendant le sommeil. Par l’expérience, il établit un lien entre les rêves de vol et l’hyperfonctionnement des poumons ainsi que les rêves d’une circulation rapide dans la rue une augmentation du rythme cardiaque. À la même époque, Maury se rendait compte que l’explication de la stimulation sensorielle n’éclaircissait que très peu de rêve. Il fit le rapport entre les rêves et les souvenirs oubliés. Hervey de Saint-Denys arriva aussi à la même conclusion. Il commença à noter ses rêves dès l’âge de treize ans et amassa plus de 2000 récits de ses rêves. Quelques mois après le début de cette entreprise, il développa des habiletés oniriques : conscience de son état de rêve, capacité de se réveiller pour noter ses rêves et contrôle partiel du déroulement de ses rêves. Enfin, il se rend compte que les images du rêve qui peuvent paraître complètement nouvelles sont en fait des images liées à des souvenirs lointains. Hervey de Saint-Denis est mort à Paris en 1892. Son ouvrage principal est intitulé Les rêves et les moyens de les diriger et paru en 1855. Sa thèse essentielle est que le la conscience vigile peut intervenir au sein du rêve.

Dans les années 1880, Robert suppose que si le rêve existe, c’est qu’il répond à un besoin, qu’il remplit une fonction. Il permettrait d’éliminer des images résiduelles, de se libérer l’esprit et s’il était impossible chez une personne, cette personne sombrerait dans la folie. Notons que nous retrouvons ici plusieurs idées auxquelles nous attribuons souvent la découverte à Freud mais qui ont été théorisée avant lui par ces précurseurs du point de vue psychanalytique du rêve et de la psychanalyse elle-même.

 


 

 

 

 

Genèse de la théorie psychanalytique

Il est difficile de dater précisément la naissance de la psychanalyse. On peut dire qu’elle née entre 1893 et 1896 alors que Sigmund Freud a théorisé l’étiologie sexuelle des névroses. Cependant, la base de la théorie psychanalytique s’est formée progressivement dans les trente années qui suivirent, faisant l’objet de nombreux réajustements. Les deux propositions de départ de la théorie freudienne sont les suivantes : 1) le fonctionnement psychique de l’homme est très majoritairement inconscient, cette partie du psychisme étant le théâtre de forces en oppositions et 2) la psychanalyse désir "connaître cet inconnaissable" (Perron, p.9). La genèse de la psychanalyse, c’est d’abord l’histoire de la découverte empirique des processus mentaux inconscients puis d’une élaboration théorique.

Freud est né à Freiberg, en Moravie (maintenant République Tchèque) en 1856. Freud était un jeune homme curieux, il lit de la poésie, de la philosophie (dont Herbart, inventeur de la notion de refoulement qui sera utilisé en psychanalyse) et s’intéresse aux écrits psychologiques de Linder. En 1973, il commence ses études en médecine à l’université de Vienne et s’intéresse plus à la recherche qu’à la pratique médicale. De 1976 à 1882, Freud fait surtout de la recherche sur l’anatomie du cerveau et de la neurologie en tant qu’étudiant universitaire. En 1982, il doit se résigner à la pratique de la médecine à cause de l’antisémitisme en progression à l’université de Vienne. Parce que Freud est juif, toute chance de carrière comme professeur ou comme chercheur lui est bloqué. Il accepte donc un poste à l’hôpital de Vienne où il assiste Breuer, un réputé psychiatre. En 1885, Freud fait un stage à Salpêtrière de Paris sous la supervision de Charco, un homme théâtral qui jouit d’une réputation internationale, un artiste de la psychiatrie ! Pendant ce stage, Freud expérimente la suggestion hypnotique comme méthode de traitement des troubles nerveux. Pendant plusieurs années, Freud continu aussi à travailler avec Breuer. Il expérimente la méthode cathartique développé par Breuer. Cette méthode consiste à demander à un patient sous hypnose de se rappeler les traumatismes de sa vie et particulièrement de son enfance (il revit alors les émotions qui y sont liés) et de le réveiller en l’invitant à se rappeler tout ce qu’il vient de revivre. Cette méthode fut utilisée surtout chez des patientes hystériques mais ses bienfaits étaient de courte durée.

De 1885 à 1890 Freud se détache peu à peu de ces méthodes de traitement car il en est insatisfait. En 1890, à la recherche d’une meilleure méthode pour aider ses patients, Freud tente de les éduquer à se raconter sans censure, à tout dire même si cela peut leur paraître absurde ou désagréable. Ce sera la première règle de la technique psychanalytique, celle de la libre association. Il fit l’hypothèse que les éléments d’un tel discours étaient intereliés par une cohérence propre à une personne, sa structure psychique.

Dans les 10 années suivantes, il fait la découverte du transfert, c’est à dire de la très forte relation d’influences (presque amoureuse) qui s’établit entre ses patient(e)s et lui, il découvre aussi l’effet pathogène des souvenirs traumatiques dans les travaux de Pierre Janet et il s’aperçoit de leur déplacement en symptômes. L’étude des psychonévroses du temps de Freud avait donc démontré que les souvenirs enfouis devenaient parfois pathologiques et causaient des problèmes psychologiques ou névrotiques et que, par conséquent, les symptômes névrotiques avaient un sens.

Dès 1895, Freud connaît quelques problèmes avec le milieu médical où ses théories font l’objet de très fortes critiques. Même ses anciens collègues (dont Breuer) ne le suivent pas dans ses avancées théoriques. Freud, " amoureux de la vérité ", poursuit tout de même ses recherches puisque sa pratique privée lui fournit des observations qui lui permettent de développer ses théories. Freud commence aussi son auto-analyse en 1897, après la mort de son père, dans laquelle il utilise ses rêves…

 


 

 

 

 

Le rêve selon Freud

Freud raconte dans son autobiographie Ma vie et la psychanalyse que dès l’instant où la liberté des associations fut la règle, les malades se mirent spontanément à faire des liens avec leurs rêves de sorte qu’il fut conduit à traiter les rêves comme les autres symptômes évoqués dans le discours. C’est aussi à partir de la mort de son père que Freud commence à s’intéresser à ses propres rêves dans son auto-analyse. En 1900, Freud publie L’interprétation des rêves où tous les éléments essentiels de la théorie psychanalytique se retrouvent : réalité psychique, l’inconscient, le fantasme, la sexualité infantile et le complexe d’œdipe.

Dans L’interprétation des rêves, Freud veut faire une science des rêves, science qui n’est pas lié à la vie organique mais à la vie psychique du rêveur et qui, bien entendu, puisqu’elle une prétention scientifique, ne peut pas faire intervenir des forces surnaturelles, magiques ou religieuses en fin d’explication. Son entreprise est éminemment rationnelle : "  Puise un jour l’intellect – l’esprit scientifique, la raison – accédé à la dictature dans la vie psychique des humains ! Tel est notre vœu le plus ardent " (7e conférence, in Nouvelles Conférences, 1932, tiré de Collectif, p.39). " Freud a toujours considéré son livre, l’Interprétation des rêves (Traumdeutung), […], comme la " pierre angulaire " de l’édifice psychanalytique " (Collectif, p.38). Par exemple, dans Cinq leçons de psychanalyse, p.36, Freud écrit ceci : " J’avoue m’être demandé si, au lieu de vous donner à grands traits une vue d’ensemble de la psychanalyse, je n’aurais pas mieux fait de vous exposer en détail l’interprétation des rêves. Un motif personnel et d’apparence secondaire m’en a détourné. Il m’a paru déplacé de me présenter comme un déchiffreur de songe avant que vous ne sachiez l’importance de cet art dérisoire et suranné. L’interprétation des rêves est, en réalité, la voie royale de la connaissance de l’inconscient, la base la plus sûr de nos recherches, et c’est l’étude des rêves, plus qu’aucune autre, qui vous convaincra de la valeur de la psychanalyse et vous formera à sa pratique. Quand on me demande comment on peut devenir psychanalyste, je réponds : par l’étude de ses propres rêves ".

Pour Freud le rêve est source de connaissance de soi. Il est la voie royale de la connaissance de l’inconscient. Mais qu’est ce que l’inconscient ? Pour bien comprendre nous nous servirons de la première topique de Freud, c’est-à-dire, de sa première conceptualisation de l’appareil psychique. Le but de l’appareil psychique est alors de réguler et de diminuer les tensions auxquels il est confronté par l’expérience de vie d’abord puis par les souvenirs et sentiments. Freud suppose deux systèmes indépendants, soit le préconscient/conscient et l’inconscient. Le conscient est ce dont nous avons conscience, c’est la partie du psychisme qui permet l’apprentissage, le jugement et il prend la réalité en considération. Le préconscient contient quant à lui des pensées ou des expériences que nous n’avons pas à la conscience mais qui sont accessibles et deviennent conscient au besoin. L’inconscient est quant à lui le siège des pulsions primaires et sexuelles, des désirs inavoués parce qu’inacceptables socialement et des sentiments et souvenirs refoulés parce que trop pénibles. Le refoulement est le processus par lequel un souvenir ou une pensée passe du préconscient à l’inconscient. Ce souvenir devient inaccessible à cause de la censure qui existe entre le préconscient/conscient et l’inconscient. C’est cette censure qui deviendrait plus perméable pendant le sommeil et qui permettrait l’actualisation de certains souvenirs et désirs.

Pour Freud, le sommeil est un état où le dormeur ne veut rien savoir du monde extérieur et si le rêve existe, c’est qu’il a une fonction. C’est le moment où le psychisme se retire dans son monde et où il tente de réaliser un désir, un désir qui était refoulé et donc, la plupart du temps, incompatible avec les idées éveillées du rêveur. Pour Freud, le rêve est le gardien du sommeil, c’est le rêve qui nous permet de rester endormis puisqu’en réalisant les désirs, il supprime le psychisme de ses excitations.

Notons que la réalisation du désir est déguisée. Le désir inconscient et consciemment indésirable qui cherche à s’actualiser dans le rêve passe par la censure et subit des transformations dans son passage par la censure pour prendre forme dans le récit du rêve qui est accessible à la conscience. C’est à cause de ses transformations que le rêve paraît absurde à première vue. Freud distingue d’ailleurs le contenu manifeste du rêve des idées oniriques latentes. Le contenu manifeste du rêve est le rêve tel qui nous apparaît, il est le récit imagé plus ou moins ordonné ou compréhensible au premier regard. Les idées oniriques latentes est le message de l’inconscient. Pour le découvrir et se persuader de leur existence, il faut utiliser la technique d’interprétation des rêves élaborée par Freud. Il suffit de prendre chacun des éléments du rêve et de chercher à quoi ils nous font penser. D’associations en associations à partir des éléments du rêve des liens surgirons et nous pourront remonter au désir. Le désir remonte parfois à la petite enfance mais peut se trouver réactualiser en désir plus récent. On parle alors de souvenir écran puisque le désir retrouvé en cache un autre. Dans une lettre adressée à Wilheim Fliess, datée du 12 juin 1900, il considère que c’est en 1895, par l’analyse du rêve d’une des ses ancienne patiente, " l’injection faite à Irma ", qu’il a compris le mystère du rêve, c’est-à-dire que tout rêve est la réalisation d’un désir. Les cauchemars ne contredisent pas cette théorie puisque le désir qui tente de se réaliser appartient à l’inconscient. Ce n’est donc pas nécessairement un désir agréable puisqu’il a été refoulé à un moment. Sa réactualisation dans le rêve peut provoquer de l’effroi à cause d’une ratée de la censure.

Pour transformer le désir inconscient en son expression onirique, la censure utilise deux principaux processus : la condensation et le déplacement. La condensation est l’association de plusieurs éléments inconscients en un seul élément de rêve. Un seul élément peut-être la concentration de plusieurs significations ou idées, parfois même contradictoires entre elles. Le déplacement se produit quand un élément inconscient se déguise en un autre (l’élément du rêve) à cause de certaines similitudes (physiques, d’écriture, causales, etc.) comme dans une métaphore. Il arrive aussi qu’un élément inconscient se déguise en son contraire dans le rêve. Ces éléments inconscients peuvent être des restes diurnes, c’est–à-dire les résidus inconscients des journées précédantes (pensées, sentiments, etc.) ou des traces mnésiques, c’est-à-dire des marques de son passé infantile, des souvenirs marquants et importants au moment où ils ont étés vécus. Les éléments du rêve peuvent aussi prendre source dans des expériences somatiques provoquées par des stimulations physiques internes (maux, douleurs, etc.) ou externes (chaleur, senteur, sons, etc.).

Enfin, pour Freud, le rêve n’a un sens que pour son rêveur et est produit par son propre inconscient individuel, lié à son histoire infantile et moins lointaine. Il n’est donc pas question d’attribuer un sens à un rêve de quelqu’un d’autre que soi sauf peut-être pour le psychanalyste qui entend les associations de l'analysant. Un même rêve chez deux personnes aura des significations différentes. Toutefois, " pour représenter symboliquement la castration, le rêve emploie […] la coupe des cheveux, la perte d’une dent [...]. Un grand nombre d’animaux (souris, poisson, serpent) servent aussi ordinairement à symboliser les organes génitaux (Freud, Interprétation des rêves, p. 296-307). Freud ne se réfère pas à des clefs de songes qui identifieraient des significations univoques à des images oniriques mais en ce qui concerne certains symboles, il semble leur attribuer d’ambler, grâce à son expérience, une connotation sexuelle. Notons que l’inconscient, qui cherche s’exprimer dans les rêves, cherche aussi à s’exprimer dans les actes manqués et les lapsus ainsi que dans les symptômes névrotiques.

 


 

 

 

 

Le début d’un mouvement et quelques dissidences

Freud eut plusieurs disciples au cours de sa vie. Dès le début du siècle, malgré la controverse autour de ses théories, quelques collègues médecins adressent des patients à Freud et d’autres sont curieux de connaître d’avantage ses théories. À partir de 1902, à chaque mercredi soir, Freud réunit chez lui les quelques médecins intéressés par sa théorie afin d’en discuter avec eux. Commence alors, informellement, la Société psychologique du mercredi qui deviendra plus tard, en 1808, la Société psychanalytique de Vienne. "En fait, en quelques années, les recrues affluent : simples curieux désireux de s’informer, médecins qui recherchent là l’occasion d’enrichir leur pratique médicale, mais aussi, parfois, de mettre en œuvre les idées et la méthode thérapeutique de Freud" (Perron, p.46). Grâce à ses publications, Freud est aussi passablement connu à l’étranger. Entre autres, en 1909, il prononça, avec deux de ses "disciples", Jung et Frenczi, cinq conférences sur la psychanalyse à l’Université Clark au Massachusetts, États-Unis. Des adeptes se trouvent désormais un peu partout dans le monde : en Allemagne, en Russie, en Italie, en Inde, en Australie, au Canada. Notons que la France est un peu retissante et met plus de temps à apprivoiser la psychanalyse. En avril 1908, à Salzbourg, ce fut le premier congrès international de psychanalyse qui réunit 42 participants venus de six pays différents. "[Au] congrès de 1910 […] fut créé l’Association psychanalytique internationale (API) afin de veiller au bon développement du mouvement psychanalytique à travers le monde" (Perron, p.46). L’API joua un rôle très important dans le développement du mouvement psychanalytique. Ses buts étaient de veiller aux respects des règles techniques de la psychanalyse et de veiller à la cohérence de la doctrine. Aussi, il fut déterminé que chaque candidat voulant devenir psychanalyste devait passer par une analyse personnelle selon les même règles que tout autre analyse.

De 1900 à 1914, la psychanalyse prend son essor mais fait aussi face à des attaques virulentes des milieux médicaux plus conservateurs. La psychanalyse poursuit tout de même sa croissance. Les sociétés nationales et même régionales de psychanalyse se développèrent : 1908 Vienne et Berlin, 1911 New York, Boston et Chicago, 1913 Budapest et Londres. Chacune d’elles était confrontée aux résistances des pays où elles se formaient : à leur structure religieuse, culturelle, sociale et même parfois politique. Certain pays interdisaient la pratiques des analystes non-médecin qui pourtant, aux yeux de Freud, donnaient de la richesse au mouvement par leurs diverses formations : sciences sociales, philosophie, histoire et même l’art parfois. Les tensions ne venaient toutefois pas juste de l’extérieur du mouvement. L’intérieur du mouvement lui-même fut le théâtre de querelles : celles-là plutôt liées à des interprétations personnelles faites les uns envers les autres. "Peut-être comme dans tout mouvement révolutionnaire, la passion favorisa le développement de tensions internes qui allèrent en s’aggravant" (Perron, p.57). Les divergences théoriques furent ensuite le point central des nouveaux conflits. Certains désaccords ont donné lieu à des scissions dans le mouvement. Par exemple, à l’été 1914, Jung démissionna de la présidence de l’API.

Jung fut pourtant un grand admirateur de Freud. En 1906, Jung publia un livre sur les associations verbales et entreprit une certaine correspondance avec Freud. C’est en 1907 qu’ils se rencontrent pour la première fois alors que une rend visite à Freud à Vienne. Pendant plusieurs années ils collaborèrent étroitement. Freud mis beaucoup d’espoir en Jung comme futur " ambassadeur " de la psychanalyse. Pourtant, Jung rompu avec le mouvement freudien à cause de nombreuses divergences théoriques qui leur paraissaient, à lui et à Freud, irréconciliables. Entre autres, Jung trouvait que la psychanalyse freudienne accord trop d’importance à la sexualité infantile et au complexe d’œdipe dans l’explication des névroses. Pour Jung, la source des névroses peut se trouver dans une situation vécue et particulièrement dans les problèmes moraux ou religieux.

 


 

 

 

 

Le rêve selon Jung

Alors que Freud est plutôt inspiré par le positivisme scientifique du siècle des lumière, Jung est à la fois un scientifique et un héritier du romantisme. Il fait place à une certaine compréhension intuitive, sa psychologie est une science de l’âme en tant que réalité immatérielle et transcendante. Selon lui, dans l’histoire de l’homme, l’inconscient est antérieur à la conscience, cette dernière va peu à peu submerger l’inconscient mais ne peut le détruire, il continue d’exister. Cet inconscient n’est pas celui de Freud, il est individuel, mais aussi collectif. Il prend racine dans les temps primitifs, il n’est pas formé que du matériel refouler dans une vie. Il contient des archétypes qui sont universels. Ces archétypes, ne s’y méprenons pas, ne sont pas des images qui se transmettent d’une génération à l’autre et qui sont identique à travers l’histoire de l’homme, ce sont des poussées qui revêtissent certaines images selon la culture. Les archétypes sont en fait les composantes de l’architecture mentale innée. Ce sont des prédispositions à caractère dynamique. Ils sont au plan mental ce que sont les instincts au plan biologique. Ils restent inconscient mais envoient des signes, des images. Ils sont universaux mais leurs images sont sous la dépendance de la culture d’un individu et de sa propre histoire. Pour Freud l’inconscient des matériaux refoulés tandis que pour Jung l’inconscient est aussi mythique et universel. Les archétypes se manifestent par des images que l ‘on retrouve dans les mythes, les mythes religieux, les dessins spontanés, les arts, les délires et principalement dans les rêves.

Tandis que Freud accorde au rêve une fonction d’équilibre psychique grâce à la réalisation de désirs refoulés souvent liés à la sexualité infantile, Jung y voit plutôt une fonction de compensation. Dans le monde actuel, un monde où l’objectivité et la rigueur font figures de normes, les hommes tentent de contrôler le plus possible leurs émotions et le rêve compense cette situation en faisant place aux instincts fondamentaux, ce qui a pour effet de rétablir notre équilibre psychique. Le rêve est le langage imagé de la nature, il fait place aux éléments primitifs de notre psychisme. Malgré notre ère plutôt rationaliste et instrumentale, le psychisme humain garde des marques de son passé et de sa lente évolution. Ces marques, les archétypes, qui apparaissent surtout dans les rêves, agissent encore en nous même si historiquement, le conscient est venu submerger l’inconscient dans la vie diurne. Notons que les superstitions et d’autres signes de l’inconscient comme les actes manqués, les créations de l’imaginaire, les réactions émotionnelles qui peuvent paraître déplacées ainsi que les lapsus nous rappellent que nous ne somme pas que conscience et rationalité. Le rêve révèle le contenu de notre inconscient et il fait contrepoids à l’activité éveillée et aux lacunes de la conscience.

Selon Jung, si le rêve peut paraître incohérent ou sans sens, c’est qu’il a son propre langage, il est symbolique et porte en lui-même ses limites. Alors que pour Freud, le récit du rêve camoufle des idées latentes inconscientes, pour Jung, le récit imagé du rêve n’est pas le déguisement d’un message inconscient mais le message inconscient lui-même exprimé dans son propre langage, celui des symboles. Dans la théorie Jungienne, il n’y a pas de censure qui vient transformer les idées inconscientes qui tentent de s’actualiser par le rêve, l’inconscient s’exprime plutôt directement dans le rêve, dans son propre langage.

Dans L’homme à la découverte de son âme (Livre III : Les rêves), Jung consacre près de deux cents pages à l’étude du rêve. Comme nous le verrons, il se positionne et se questionne à plusieurs reprises face à la théorie freudienne du rêve, mais aussi par rapport aux possibilités d’études et aux techniques d’interprétation des rêves dans le cadre de l’analyse.

Jung propose d’abord de considérer le rêve, cette curieuse activité s’exerçant involontairement en nous pendant la nuit, au même titre que les autres activités psychiques : l’envisager du point de vue causal et sous l’angle de sa finalité. Du point de vue causal, on s’interroge à propos des données psychiques qui ont précédé puis influencées et causées la formation des images oniriques. On cherche d’où viennent les images du rêve grâce aux souvenirs du rêveur, aux associations qu’il peut faire entre les éléments du rêve et ses souvenirs. Cette recherche de matériaux associatifs que l’on attribut surtout à la théorie freudienne n’est pas du tout niée par Jung mais elle ne doit pas être poussée trop loin selon lui. Jung oppose à la position freudienne, qui prétend que le rêve est la réalisation d’un désir infantile refoulé à caractère sexuel, qu’il qualifie de déterministe, une façon de voir finaliste. Les matériaux associatifs aussi utilisés mais ils sont confrontés à une question : " pourquoi le rêve ? ". Jung met l’accent sur la fonction compensatrice du rêve.

Pour Jung, le rêve rectifie une situation. Il peut bien sûr avoir des compensations psychiques lointaines comme dans la réalisation d’un désir infantile non réalisé ou non réalisable, mais son objet principal est la vie consciente. Cette fonction est envisagée dans une certaine dépendance de l’inconscient envers le conscient. Les pensées et tendances que la vie consciente ne met pas en valeur dans la vie diurne entrent en action pendant le sommeil, alors que les processus conscients font (presque) relâche. Certaines situations diurnes insatisfaisantes peuvent créer des événements psychiques ne pouvant s’actualiser pendant l’éveil à cause d’un refoulement et le rêve compense et rectifie cette situation. Le rêve a pour Jung une fonction plus large que celle de la réalisation d’un désir ou de protection du sommeil comme dans la théorie freudienne. Les compensations sont innombrables comme nous l’avons vu au sujet des archétypes en rapport avec le mode de vie moderne.

Outre la fonction compensatrice du rêve, Jung distingue la fonction prospective du rêve. Il s’agit d’une anticipation d’activité diurne à venir faite par l’inconscient. C’est une préparation, une simulation, une ébauche de la future activité qui perturbe (consciemment ou pas) une personne. Parfois le contenu d’un tel rêve, parce qu’il s’agit du même coup d’un type de rêve, présente une solution à la perturbation ou conflit. Freud aurait probablement pu rétorquer ici que si un événement à venir provoque un conflit psychique, c’est probablement parce qu’il fait renaître inconsciemment des bribes d’un passé non résolut. Si le rêve cherchait à résoudre un conflit, ce ne serait peut-être pas par anticipation mais bien en remplacement d’un souvenir inconscient, marquant et douloureux. La notion de " souvenir écran ", le fait de retrouver un souvenir en remplacement d’un autre plus élémentaire et précoce, pourrait ici être remplacer par une nouvelle notion d’" événement écran ". Pour cela toutefois, il faudrait que le conflit provoqué par l’événement anticipé soit considéré comme " exagéré " et perçu comme l’anticipation de la répétition d’un événement passé. Notons que ce ne sont ici que des hypothèses personnelles. Revenons donc à Jung, selon lui, la fonction compensatrice du rêve servirait à l’équilibre psychique des individus relativement stables à un moment de leur vie tandis que la fonction prospective entrerait plutôt en jeu lorsqu’une personne est en proie à des conflits psychiques passablement importants et que sa conduite est ressentie comme inadaptée.

Il existe aussi, selon Jung, un type de rêve dit " réducteur " mis en lumière par les recherches de Freud. Contrairement à ce que l’on peut croire, Jung ne nie pas l’existence d’une fonction du rêve à travers laquelle le rêve actualise des désirs sexuels infantiles refoulés. Il affirme que cette fonction existe vraiment, mais que Freud " réduit " le rêve en ne considérant que cette fonction. En considérant que la théorie freudienne ne tient compte du rêve que comme la réalisation d’un désir, le but de l’interprétation étant de faire ressortir le matériel inconscient personnel infantile sexuel refoulé, Jung estime que la théorie freudienne est doctrinaire et ne peu rendre compte de la richesse et de la profondeur du psychisme. Remarquons qu’il réduit lui-même un peu la théorie freudienne en la considérant ainsi mais c’est que pour lui, le matériel inconscient et les interprétations oniriques sont variés. Il attire l’attention sur les éléments archaïques de l’inconscient, c’est-à-dire des survivances primitives, phylogénétiques et collectives ainsi que sur le rêve en tant que représentation symbolique d’une situation ponctuelle de l’inconscient d’une personne.

Le symbolisme du rêve est considéré très différemment si l’on étudie le rêve du point de vue causale (freudien) ou du côté final (jungien). Le " déterminisme " freudien, comme Jung se plaît à nommer le point de vue de Freud sur le rêve, postule l’existence d’une cause générale des rêves : des désirs toujours assez simples et élémentaires qui cherchent à s’actualiser oniriquement. Ces désirs prendraient divers déguisements grâce à l’existence d’une censure, d’où la distinction entre les idées oniriques latentes et le rêve manifeste. C’est dans cette optique que sont généralement considérés les images oniriques d’objets longs comme des symboles phalliques et celles d’objets creux comme symboles féminins. " Le point de vue finaliste, au contraire, voit dans les variations des images oniriques le reflet de situations psychologiques infiniment variées. Il ne connaît pas pour les symboles de significations figées ; pour lui, les images oniriques sont importantes en elles-mêmes, car c’est en elles-mêmes qu’elles portent la signification " (Jung, L’homme à la découverte de son âme, p.203). Les images oniriques sont en quelque sorte des paraboles, elles ne dissimulent rien, elles représentent. Les rêves s’expriment ainsi selon Jung et non pas de façon déguisée.

Pour reprendre un exemple de Jung, une personne fait un rêve et l’un des éléments du rêve est une locomotive. Pour Jung, cette locomotive dans le rêve est vraiment une locomotive, elle n’est pas une façade cachant une signification secrète et inquiétante. L’image de la locomotive porte en elle sa signification, il s’agit simplement de demander au rêveur ce qu’une locomotive évoque pour lui, qu’est ce que c’est pour lui, qu’est ce qu’il en pense et qu’est ce que ca lui rappel.

L’utilisation de symbole fixes mène, selon Jung, à une routinisation de l’analyse onirique et à une dogmatisation dangereuse. Il considère plutôt les symboles sous l’angle de la relativité et en fonction d’une situation consciente ponctuelle. D’ailleurs, il préfère l’idée qu’un symbole soit insaisissable plutôt que de s’appuyer sur des conventions de signes. La signification des symboles doit être recherchée en rapport avec la situation consciente de l’analysant : rechercher ce que ces images signifient pour lui, en renonçant à tout savoir préalable

Jung insiste sur la genèse essentiellement subjective des images oniriques. Selon lui, il est doctrinaire d’attribuer à une forme une signification. En considérant ainsi certains symboles, Jung redoute que l’analyste cherche à inculquer à l’analysant (la personne en analyse) sa propre compréhension d’un rêve. Si le psychanalyste cherche (consciemment ou non) à convaincre l’analysant de quelque chose parce qu’il considère qu’il existe certaines vérités fondamentales dans le rêve, cela ne peut qu’être néfaste pour l’analysant selon Jung puisque la compréhension est éminemment subjective et que c’est celle de l’analysant qui est importante. Une telle attitude ou toute autre interprétation unilatérale de l’analyste basée sur une théorie serait donc caduque puisqu’elle reposerait sur la suggestion, méthode opérante qu’à court terme. Pour Jung, il ne faut pas restreindre à l’avance le sens des rêves, ils peuvent réaliser des désirs refoulés, certes, mais aussi des vœux ou des appréhensions. La seule hypothèse que doit soutenir l’analyste est que le rêve peut donner accès à des données essentielles autrement inaccessibles à la consciente de l’analysant. Ces données ne doivent toutefois pas être préétablies par l’analyste.

En présence d’un rêve, Jung ne cherche pas, d’abord, à le comprendre ou à l’interpréter mais à en établir le contexte. Il ne demande pas à ses patients de " libre associer " véritablement mais plutôt d’associer, certes sans contraintes, mais autour du rêve, en ne s’en éloignant pas trop. Les associations libres révèlent les complexes du patient, certes, mais non le sens du rêve. Pour Jung, le concept de " rêve manifeste " ou de " façade du rêve " instauré par Freud, n’est que la projection d’une incompréhension apparente du rêve. C’est une fois le contexte de chaque image onirique trouvé qu’il est possible de penser à une interprétation. Pour Jung, chaque interprétation onirique sous-entend la question suivante : quelle attitude consciente est compensée par le rêve. Il s’agit d’ailleurs de sa principale règle technique de l’analyse des rêves. La fonction compensatrice du rêve est fondamentale pour lui. Les rapports entre le conscient et l’inconscient sont de nature compensatrice et c’est pourquoi il est indispensable d’avoir une connaissance exacte de la situation consciente qui correspond au rêve avant de penser à une interprétation qui sera en fait une " assimilation au conscient, aussi poussée que possible, des contenus inconscients " (Jung, p.259).

Pour Jung, la méthode de la libre association élaborée par Freud est très utile mais restreint le sens du rêve inutilement : on aboutit immanquablement à un complexe, peu importe le point de départ de la chaîne associative. On peut utiliser pour à cet effet un mot arbitrairement choisi, une page de dictionnaire ou un jeu de carte selon Jung, expériences à l’appui. Les associations doivent être limitées à la périphérie du rêve. Seuls les éléments servant à former le contexte doivent être retenus si l’on veut interpréter le rêve lui-même et non pas le complexe émanent d’associations qui peuvent s’étendre à l’infini et qui rendent le rêve incompréhensible. Les associations doivent donc se limiter à découvrir ce que chaque élément du rêve signifie pour le rêveur.

À titre indicatif, Jung procède de la façon suivante pour analyser un rêve: Il divise une page en trois colonnes. Dans la première, il inscrit le récit du rêve. Dans la deuxième, la plus large, il inscrit le contexte alimenté par les associations du rêveur, c’est à dire ce que signifient les images oniriques pour lui et les liens qu’il peut faire avec sa vie consciente. Dans la troisième, une fois le contexte établi, il note les hypothèses de conclusions qu’il peut établir en tenant compte des liens entre les divers éléments.

 


 

 

 

 

Jung dénature la psychanalyse freudienne

Relativisons un peu ce que Jung dit à propos de la psychanalyse freudienne. On sait que Freud et Jung ont couper tous liens personnels et professionnels à partir de 1914. Ils se sont cependant affrontés par leurs écrits, chacun tentant de démontrer la supériorité de leur vision de l’inconscient, du rêve et des problèmes psychiques. Les théories freudiennes ne sont certainement pas aussi doctrinaire que Jung le prétend.

Bien que Freud affirme dans L’interprétation des rêves que tout rêve réalise de façon déformée un désir, il revient sur cette notion dans Au-delà du principe de plaisir pour souligner qu’il existe une autre sorte de rêve. Plusieurs personnes traumatisées par un événement auquel ils ne s’attendaient pas, peuvent revivent régulièrement, en rêve, des situations analogues à celles qui les ont marquées. Ce type de rêve n’aurait pas pour but la réalisation d’un désir. La victime d’un traumatisme, n’ayant pas pu anticiper son traumatisme, n’y étant pas préparée psychiquement ou du moins pas assez, chercherait à le maîtriser par le rêve en le revivant en rêve.

Aussi, concernant les symboles à significations fixes," tout au long de son œuvre, Freud oscille entre une conception réaliste et une conception relativiste du symbole. Pour la première, chaque symbole aurait une signification unique [du moins en ce qui concerne les symboles liés à la sexualité]. L’autre conception admet que la signification d’un symbole varie avec chaque cas particulier, et elle a recourt aux associations libres pour la dégager " (Lévi-Strauss, 1985 ; p.247). À ce sujet Freud écrit que : " La technique qui repose sur la connaissance des symboles [à signification stable] ne remplace pas celle qui repose sur l’association […]. Elle ne fait que complaire cette dernière et lui fournir des données utilisables " (Freud, Introduction à la psychanalyse, p. 135).

 


 

 

 

 

Réconciliation et conclusion

Malgré quelques divergences à propos du rêve, de sa source, de sa fonction et de son interprétation, les théories de Freud et de Jung se rejoignent. Elles reposent toutes deux sur l’hypothèse d’une origine inconsciente du rêve et toutes deux accordent aux rêves une certaine fonction, c’est-à-dire que le rêve n’est pas inutile. C’est d’abord la pratique psychanalytique qui prouve le sens du rêve. Freud procède de façon empirique et inductive quand il conçoit la possibilité d’un sens caché au rêve. C’est à partir de ses expériences et de ses observations pratiques qu’il fait découler sa théorie et sa technique d’interprétation des rêves. Aussi, les psychanalystes qui l’on suivit ont continué à utiliser le rêve pour faire découvrir à leurs patients les complexes et les conflits inconscients qui les habitent, c’est-à-dire rendre conscient l’inconscient ou plus précisément, faire advenir du Moi où il y avait du Ça.

Nous avons vu que chez les primitifs et dans le monde antique, le rêve est de l’ordre du divin, du sacré ou du magique, il est une visite prophétique des dieux. Au Moyen-Âge, le rêve est un voyage de l’âme à l’extérieur du corps, dans le monde du divin. Au siècle des lumière le rêve est considéré comme un résidu sans importance de l’esprit raisonnable. Pendant la période du romantisme le rêve devient un voyage dans son monde intérieur mais garde un caractère divin et on tente de démontrer l’irréductibilité du rêve. À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, le rêve demeure un voyage intérieur mais cet intérieur n’est plus le lieu sacré de l’âme comme dans le romantisme, il devient analysable par la science. Le rêve fut d’abord perçu comme une réalité théologique, puis métaphysique et enfin psychologique. Les explications du rêve ont évoluées selon les idées que les hommes se sont faites d’eux- même et de leur âme ou conscience. Ces tentatives d’explications furent de plus en plus rigoureuses. Le rêve, ce monde transcendant hors de porté direct pour la conscience, les primitifs le voyaient comme un voyage à l’extérieur de nous, les penseurs romantique et les psychanalystes le savent intérieurs. On put se passer de l’explication divine quand l’homme (ou son moi ) fut assez grand pour chercher à comprendre les phénomènes sans faire référence à des forces surnaturelles. Ce fut l’avènement des sciences humaines et de la psychanalyse.

Ma brève histoire des représentations sociales du rêve, je l’ai indiqué, dès le départ, est somme toutes assez sommaire mais surtout parcellaire, voir même un peu arbitraire. À titre d’anecdote, citons Lévi-Strauss :

" Des notions dont on crédite la psychanalyse[…] sont déjà présente à la pensée mythique.[…] Écoutons donc comment en 1649 le Père Ragueneau, missionnaire chez les Hurons exposait une théorie indigène : Outre les désirs que nous avons communément, qui nous sont libres, ou au moins volontaires, qui proviennent d’une connaissance précédente de quelque bonté qu’on ait conçue dans la chose désirée, les Hurons croient que nos âmes ont d’autres désirs, comme naturels et cachés ; lesquels ils disent provenir du font de l’âme, non pas par la voie de la connaissance […]. Or ils croient que notre âme donne à connaître ces désirs naturels, par les songes, comme par sa parole, en sorte que ces désirs étant effectués, elle est contente : mais au contraire, si on ne lui accorde ce qu’elle désire, elle s’indigne […] causant diverses maladies " (Lévi-Strauss, 1985 ; p. 174-175).

On voit que certains concepts de la psychanalyse ne datent pas d’hier mais il est très important, selon moi, de ne pas confondre la découverte d’une idée en elle-même et sa diffusion sociale. Une bonne idée au fond d’un tiroir n’est pas très utile et c’est pourquoi Freud a fait toute la différence dans la " découverte " de l’inconscient et de l’utilisation du rêve. Il a créé un véritable mouvement qui a influencé la pensée contemporaine.

 


 

 

 

 

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JUNG, Carl Gustav, Essai d’exploration de l’inconscient, Éditions Robert Laffont, 1964.

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Références Internet

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